#Poésie sur le net, mercredi 18 mars 2020
Bruno Berchoud
Poèmes inédits
Drôle de guerre à ce qu'on dit, père fusil en main pas plus de quelques jours,
deux semaines peut-être – mais où exactement, aurait pu nous montrer sur la
carte.
Appris durant ses classes militaires, l'usage du fusil fut-il si futile, à n'effrayer
que les moineaux ? Ou visa-t-il pour de vrai silhouette aussi jeune que lui ?
(Mais au dernier moment, le canon dévia ?)
Pas un héros, le père, ni un saint. Et même exaspérant à seriner rengaine à
ses enfants ce qui se fait ou pas, brosser les dents trois fois le jour, pas les
doigts dans l'assiette et bout de pain à chaque plat
N'empêche
Père plutôt captif que meurtrier.
Et ses doigts sans trembler pressant sur la détente
même de loin abattre un homme, non – décidément, non.
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Quelques semaines à vivre encore aura le temps
de voir sur l'écran un automne à Berlin
chose impensable à la frontière les gardes sourire
et soudain leurs fusils n'étaient plus que jouets
au pied du Mur qui s'effondrait.
Ce qui lui traversa le cœur alors, quels mots naquirent dans la tête du
père, comment savoir
A dû se dire les désastres de jeunesse
cette fois pour de bon s'éloignaient d'un grand pas
Son corps courbé devenu lent pensait encore un peu
a dû se dire c'est bien mettre la guerre au loin
il est temps de partir.
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Un jour de juin ont traversé la même histoire.
À l'heure où l'un
toute arme déposée levait les mains en l'air,
l'autre
six ans et des poussières
jambes nues trébuchant sur les routes du Nord dans la foule en débâcle, main enfouie dans celle de la mère, cherchait les mots qu'il lui faudrait pour mieux se souvenir.
Deux décennies d'écart, nos pères ne se sont pas connus – chacun avait son âge.
Se rappelle souvent, ton père, au terme d'une route interminable et droite le croisement où se tenait le jeune soldat allemand
son visage en chiffon sous le casque, il
lui tendit en pleurant un bout de chocolat.
Télécharger et lire les autres poèmes de Bruno Berchoud.
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Jacques Demarcq
JACQUES DEMARCQ AUX ÉLÈVES DE PONT-DU-CHÂTEAU
As-tu des oiseaux chez toi ?
me demandent des enfants de Pont-du-Château, entre Allier et volcans, près de Clermont-Ferrand.
— Pas en cage en tout cas. Les oiseaux qu’on emprisonne, sans être des voleurs, sont faits pour voler. Certes, la cage est un abri qui les protège de leurs ennemis : les chats par exemple. Mais il est préférable d’ouvrir chaque matin leur cage et la fenêtre de votre maison. Si vous avez recueilli un oiseau tombé du nid, si vous prenez soin de lui sans faire de bruit, et si le soir vous recouvrez sa cage d’un tissu, il reviendra dormir chez vous. Avoir un ami dans une cage ouverte réclame beaucoup d’attention et n’est possible en général qu’à la campagne.
Un moyen plus facile d’avoir des oiseaux chez soi est de poser un nichoir sur un mur, sur une terrasse ou dans un jardin. Il en existe pour les mésanges, les rouges-gorges, les fauvettes, les hirondelles et même pour les chouettes hulottes. Avec un peu de chance, vous verrez un couple s’installer dans votre nichoir d’où sortiront plus tard des petits.
Le problème est que j’habite dans une très grande ville, Paris. Il y a des arbres dans mon quartier et même quelques jardins, mais les petits passereaux sont rares, les moineaux ont presque disparu. Au printemps ou l’été, j’aperçois des martinets, mais ils ne restent pas longtemps. Il faut que j’aille me promener dans les forêts autour de Paris, ou au bord des rivières, pour entendre et voir une grande variété d’oiseaux.
En plus, j’habite au septième étage. Les mésanges ni les rouges-gorges ne nichent aussi haut. Les merles, que je vois sur les pelouses ou les talus, préfèrent les arbres pour construire leur nid. Mais j’ai quand même des oiseaux chez moi. Des pigeons, bien sûr, fréquentent mon balcon. L’hiver, lorsqu’il y a des tempêtes, arrivent des mouettes, que les corneilles pourchassent. Je connais assez bien trois corneilles, que vous appelleriez sans doute « corbeaux ». Elles ont un beau plumage noir aux reflets bleutés.
Comment je distingue ces corneilles de la vingtaine d’autres qui parcourent mon quartier ? D’abord parce qu’elles sont trois souvent ensemble et cela depuis trois ans. Je leur donne à manger sur mon balcon : déchets de viande, croûtes de fromage, légumes cuits. Si elles arrivent ensemble, le mâle dominant, qui est aussi le plus gros, mange le premier. Si l’une des trois remarque en passant la nourriture, elle se pose sur la rambarde du balcon et appelle les autres, qui ne sont jamais loin. Les deux autres laissent le mâle dominant se servir le premier. Je suppose la plus petite être la femelle : c’est une des seules façon de les distinguer. La troisième est peut-être un mâle, plus jeune, qui aide le couple lorsqu’il faut construire un nid dans un arbre, puis nourrir la femelle qui couve les œufs, puis nourrir encore les jeunes pendant six semaines avant qu’ils prennent leur envol.
Les corneilles partagent la vie des humains depuis très longtemps. Elles sont prudentes sans être farouches et très intelligentes. Mardi 17 mars, premier jour du confinement de la population contre l’épidémie, les corneilles de mon quartier, une vingtaine, ont tenu une conférence sur un toit-terrasse, de l’autre côté de ma rue, à une quinzaine de mètres de ma fenêtre. Sujet de la conférence : où sont passés les humains ? D’habitude de nombreuses voitures passent dans la rue, dès 7 heures du matin. À huit heures et demi, les enfants entrent à l’école primaire toute proche. À 9 heures, des personnes âgées partent faire leur course. Mais là, il est 10 heures, elles n’ont vu presque personne.
Aucun cri, aucune alarme, aucune agitation. Les échanges entre corneilles se font, par signe de tête, léger mouvement d’aile, petit saut de côté sur la rambarde du toit, ou déplacement jusqu’à une cheminée de ventilation. Elles se comprennent en silence, comme beaucoup d’animaux. Au bout d’un quart d’heure, toutes sont forcées de reconnaître qu’elles n’ont trouvé aucune réponse à leur question. Pas plus que les humains confinés chez eux contre l’épidémie. L’ambiance est bizarre, mais bon… Les corneilles se dispersent. Les trois qui me connaissent passent par mon balcon. Je ne leur ai rien laissé à grignoter. Mais j’y penserai.
Moins d’humanité, ça n’inquiète un peu les corneilles que parce qu’il va falloir se mettre à rassembler des brindilles pour construire un nid. On est le 17 mars et il fait beau. Le printemps arrive. La vie continue… quoi qu’il en coûte.Jacques Demarcq
18 mars 2020
ET DES VIDÉOS !
D'Ubu Fait Dure Loupe par Jacques Demarcq, une lecture pour Lucien Suel
Éléphante, poème vidéo de Jacques Demarcq
Gecko, vidéo poème de Jacques Demarcq
Pierre Soletti
Mauricette par Pierre Soletti et le groupe Facteur Zèbre : hommage à Lucien Suel
Balkans (We Want to Wake Up), par Electric Pop Art Ensemble : hommage à Lucien Suel
PARIS par Electric Pop Art Ensemble : hommage à Lucien Suel
L'oural (live au Bikini), par Pierre Soletti et son groupe Facteur Zèbre