#Poésie sur le net, vendredi 20 mars 2020
Stéphane Juranics
ciel gris et bas
si bas que les nuages
glissent sur les verrières
étoilées de givre
et se fracassent
sur le verglas des voies
dans les hangars
à ras bord de brume
passent les convois du vent
que ballottent les planches
craquant sous leur poids
sur les quais habités d’ombres
les bancs vides attendent un train
qui n’arrive pas
Stéphane Juranics,
extrait de La chute libre du jour,
Editions La Passe du vent, 2016.
pour Thierry Renard
ce que nous sommes
corps baignés
de la lumière du jour
esprits ceints
de la lumière du vrai
épidermes où s’inscrit
dans son énigme
l’incessante réverbération
de l’univers
ce que nous sommes
ombres à la merci de l’orage
visages gercés de temps
solitudes faites chairs
émotions vives
dans la nuit noire
intuitions pures
dans le silence
nous l’ignorons
ce que l’on sait
postulat connu
sur le bout des doigts
évidence frappant
jour après jour
c’est que le monde
passé au crible
de la vision
Écouter le poème :
Voix et guitare : Stéphane Juranics
Mixage : Thomas Picot
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Mariette Navarro
Ultra-Marins.
Extraits d’un récit en cours d’écriture.
Extrait 1
D’abord ils tracent un cercle pour en être le centre. Un grand cercle englobant tout : le bleu, ses masses noires, ses crépitements blancs. Borné par rien d’autre que l’horizon devenu rond.
Depuis le bateau, ils tracent un cercle avec leurs yeux.
Ils espèrent le silence.
Leurs regards se perdent sur la courbe qui les entoure.
Ils espèrent l’abstraction. Ils font de ce rond bleu un tissu rigide, un sol où faire leurs premiers pas. Ils plissent les paupières, maintiennent l’illusion jusqu’à l’apparition d’une vague, un clapotis qui de nouveau rend tout liquide, profond.
Ils tracent un cercle à la surface, on dirait qu’ils prennent la mer pour du papier, leurs bras pour les compas de leur enfance. Ils ne se posent pas la question de ce qu’il y a en dessous, ils recherchent la perfection du cercle et de la plongée en son centre. Ils imaginent les ondes concentriques que produira le corps minuscule humain. Ils croient qu'on peut plonger dans un miroir sans être engloutis par la vague, disparus du côté du monde où la lumière ne passe plus.
Ils espèrent le silence en coupant les moteurs : c’est sans compter sur le jeu de l’eau, ses battements sur la coque, la revanche du bruit du vent une fois les machines éteintes. Alors tout ce qui grince et souffle n’est plus dû qu’aux forces mécaniques, aux rafales, aux masses d’eau, à l’acier balloté par la houle et aux respirations des hommes en réponse aux grands chuintements.
Quand les moteurs s’arrêtent ils reperdent d’équilibre qu’ils avaient fini par trouver, ils sont rétrogradés dans leur apprentissage, ils redeviennent chiens fous se cognant partout, vomissant leurs tripes, mais ils sentent comme une euphorie à en être arrivés là.
Ils sont fidèles au rendez-vous, sortent de leur cabine à l'heure convenue, pas un ne s'est posé la question de faire faux bond à l’équipe. Personne n'a eu d'idée plus convaincante que celle-ci.
Bien sûr, ils ne sont libérés de rien, encore moins de l’inquiétude. Ils guettent la moindre anomalie, l’embarcation qui penche ou craque, l’infiltration de trop. Ils ne sont pas sûrs de savoir déceler le danger quand il y en aura un. Ils ont perdu leurs réflexes. Ils écoutent. Pour se détendre ils font, de ce vacarme vidé de toute habitude, une musique.
Ils n’ont plus beaucoup de connaissances quand ils quittent les tableaux de bord. Ils n’ont plus de métier quand ça s’arrête, plus de trajectoire programmée. Sans chaussures le long des coursives ils perdent de l’assurance. Ils commencent le travail des sensations. Ils aiment comme le soleil les brûle.
Ils se retiennent de glisser en se moquant d’eux-mêmes, ils font de leurs déséquilibres un nouveau jeu.
Dans le tangage, ils se suivent sans commenter. Ils posent leurs mains sur le froid des rambardes pour se rassurer avec une sensation connue. Ils rient un peu, du frémissement identique qui se met à les parcourir, tous.
Ils avancent sur les ponts vers un des canots en mesurant leur degré d’inconscience, en effleurant la question de la nécessité, mais ils exécutent les gestes: ils déplient les échelles, ils s’agrippent aux cordages, ils se découvrent d’autres muscles dans la tension des bras. Ils se préparent à la descente vers la mer.
Ils regardent, et mesurent la dizaine de mètres qui font qu’ils surplombent encore l’eau. Pour l’instant, ils se sont recréé dans le métal un petit morceau de terre, une protection humaine où marcher les pieds secs. Ils vérifient d’un œil le beau fixe programmé du ciel, dans un reflet turquoise, tout doucement, ils se rassurent.
Le passage des Açores a été le signal, le dernier contact avec la terre. Ils ont attendu de ne plus être à la vue d'aucune côte, d'aucun bateau lancé dans son commerce. Ils ont débranché les radars. Ici, ou aucun oiseau ne pourrait relayer la nouvelle de leur présence.
Ils s’assoient côte à côte dans un des canots parce que la question ne se pose plus d'exécuter leur idée jusqu'au bout, maintenant qu’ils ont atteint le parfait endroit d’eau calme, celui dont ils parlaient ces derniers soirs en s’enveloppant d’une veste, à la lueur d’un reflet de Lune. Ils s’étonnent des promesses qu’ils se sont faites si légèrement. Ils se laissent descendre jusqu'à l'eau, jusqu'à ce qu'un petit choc leur signale qu'ils y sont. A quelques centimètres de la surface ils n'ont plus qu'à passer les jambes par-dessus bord. Tout maintenant peut commencer.
Abyssal plain. Ils ont se souviennent de cet endroit-là sur la carte, de ce mot poétique et effrayant, quand ils imaginaient que le fond les aspirerait un peu plus dans ses endroits plus sombres. Ils pensaient à ceux qui y plongent, rêvent d’y marcher, exploit plus rare encore que d’arpenter la Lune.
Eux n’ont des souvenirs que de baignades de plage, entrée prudente dans le bord des vagues, villégiature surveillée, maillots adéquats, torpeur et écœurement léger du sommeil en pleine chaleur. Ou peut-être de rivière, les pieds rencontrant les cailloux et l’équilibre à garder dans la coupure. Ils ont le souvenir des piscines chlorées aux mètres comptés, aux lignes sévères. Pour la première fois, alors, les deux pieds au milieu de rien, et tout le corps qui suit.
Tout en haut, à la passerelle de commandement, des doigts ont tapoté sur des jumelles, quelques longues inspirations ont été prises. On n’a rien dit avant d’être dehors, puisque le moindre son était enregistré. La position a été vérifiée, et les radars, avant d’être éteints, ont confirmé qu’aucune embarcation n’approchait du cargo. Une cigarette a été fumée dans les premiers instants de tangage, signe d’une fébrilité, ou bien d’une jubilation.
Depuis la passerelle on a stoppé l'élan, on a piqué le cargo au centre du rond de tissu, on a fait, des tonnes de métal, un papillon mort, cloué, magnifique.
Ils commencent par là. Par la suspension. Ils mettent, pour la toute première fois, les deux pieds dans l’océan. Ils glissent dans l’eau. A des milliers de kilomètres de toute plage.
Personne ne le saura jamais, mais c'est maintenant qu'ils naissent, de l'air vers l'eau, expulsés volontaires de leur condition verticale et de leur âge. L'espace d'une seconde ils renversent l'ordre des choses, peut-être que quelque part des oiseaux prennent leur envol à l'envers ou qu'une rivière, d'un coup, remonte à sa source: voilà ce qu'ils pressentent, en vrac, et chacun dans sa langue.
Dans la cambrure parfaite de l'horizon, comme naissance c'est beaucoup plus réussi que la première fois, entre les murs carrés d'un hôpital, il y a vingt ans, trente ans, quarante ans quelque part en Europe. Ils naissent adultes et de leur plein gré, les pieds en avant, les bras le long du corps, et dans la gorge un chant retenu, un cri débutant.
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Christian Prigent
La leçon de chinois texte de Christian Prigent lu par Vanda Benes et Christian Prigent à la Maison de la Poésie de Paris le 7 avril 2018
D'autres vidéos de la soirée du 7 avril à la Maison de la poésie de Paris :
Une phrase pour ma mère - éditions P.O.L -
lecture d'un extrait d' Une phrase pour ma mère où le narrateur tente d'expliquer à sa mère l'origine de sa vocation pour la littérature, lors d'un entretien avec Benoît Conort et Pierre Vidal, dans le Cycle "La Poésie pour quoi faire", organisé par la Maison des Ecrivains et de la Littérature (MEL), à Paris, au Petit Palais, le 17 novembre 2010.