Henry BAUCHAU
Henry Bauchau est né à Malines le 22 janvier 1913 dans une famille bourgeoise. En 1914, lorsqu’éclate la Première guerre mondiale, il se trouve chez ses grands-parents maternels, à Louvain, et l’incendie de la ville par les Allemands le marque profondément, bien qu’il ne soit alors âgé que de 18 mois.
De 1932 à 1939, Henry Bauchau étudie le droit à Louvain. À cette époque, il écrit pour divers journaux et revues de tendance catholique, exprimant dans ses articles l’envie de renouveau et le questionnement idéologique qu’il partage alors avec une majorité de la jeunesse catholique belge. En 1936, il épouse Mary Kosireff avec qui il aura trois fils.
Mobilisé dès 1939 comme officier de réserve, Henry Bauchau participe en 1940 à la campagne des 18 jours et se sent profondément humilié par la capitulation de l’armée belge, incapable de résister comme en 14-18. Pour répondre à l’appel du roi Léopold III qui invite le peuple à œuvrer sans attendre à la reconstruction du pays, il fonde en 1940 le Service des Volontaires du Travail Wallon. Lorsque ce Service est récupéré par l’Occupant qui veut y imposer des rexistes en 1943, il démissionne, rejoint la Résistance et gagne le maquis des Ardennes, puis Londres.
Au sortir de la guerre, la méconnaissance de son action en temps de guerre par ses compatriotes, et le trouble affectif lié à sa passion pour Laure Tirtiaux, le plongent dans un profond désarroi personnel. En 1947, Henry Bauchau, qui travaille alors dans le monde de l’édition (ce qui l’entraîne à vivre à Paris), entreprend une psychanalyse avec Blanche Reverchon, l’épouse du poète Pierre Jean Jouve et l’une des premières traductrices de Freud en France. Cette psychanalyse, qui se poursuivra jusqu’en 1950, jouera dans la vie de l’écrivain un rôle décisif : grâce à Blanche, celle qu’il nomme « la Sybille », il comprend que l’écriture constitue « sa véritable voie ». Son premier recueil, Géologie, publié en 1958, reçoit d’emblée le prix Max Jacob.
En 1951, Henry Bauchau part en Suisse pour fonder, à Gstaad, l’Institut Montesano, un établissement international où l’on prépare entre autres les jeunes Américaines aux concours d’entrée des grandes universités. Il y enseigne lui-même la littérature et l’histoire de l’art ; deux ans plus tard, il épouse en secondes noces Laure Tirtiaux. Durant les années qu’il passe en Suisse, Henry Bauchau s’efforce de partager le peu de loisir que lui laisse son poste de directeur d’une école internationale entre l’écriture et les arts graphiques, qu’il pratique régulièrement à partir de 1962. Les époux Bauchau côtoient à l’époque de nombreux acteurs du monde culturel et littéraire, comme Ernst Jünger, Eugène Ionesco, Philippe Jaccottet, Francis Ponge, le peintre Olivier Picard, le sculpteur Elisabeth de Wée… De 1965 à 1968, Henry Bauchau se rend régulièrement à Paris pour suivre une seconde psychanalyse, didactique, avec Conrad Stein. Ces voyages sont pour lui l’occasion de nouvelles rencontres, avec Jacques Lacan et Jacques Derrida notamment.
En 1973, l’Institut Montesano doit fermer, touché par l’effondrement du dollar. Henry Bauchau quitte alors la Suisse pour Paris, où il est engagé comme thérapeute au Centre psychopédagogique de la Grange-Batelière, qui suit des adolescents en difficulté. Il s’installe ensuite à son compte, en tant que psychanalyste. L’écrivain pratique régulièrement l’art-thérapie avec ses patients psychotiques. Sur la base de cette expérience, en 1982, il est invité par Danièle Brun à donner une série de conférences sur les rapports entre art et psychanalyse à l’Université de Paris VII. La même année, il publie chez Flammarion un Essai sur la vie de Mao Zedong ; cet ouvrage, qui lui a coûté huit ans de recherches et de travail acharné, n’obtient pas le succès escompté.
Dans les années 90 Henry Bauchau voit enfin s’ouvrir devant lui la voie de la reconnaissance publique. Entré à l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique en 1991, il reçoit pour Œdipe sur la route(1990) le Prix Antigone de la ville de Montpellier puis, en 1992, le Prix triennal du roman du Ministère de la Culture et de la Communauté française de Belgique ; 5 ans plus tard, Antigone (1997), véritable succès éditorial, reçoit le Prix Rossel puis, en 1999, le Prix des lycéens. Lauréat du Prix international Union Latine de littératures romanes en 2002 et du Grand Prix de littérature de la Société des gens de lettres en 2005, l’écrivain se voit attribuer, en 2008, le Prix du livre Inter pour son roman Le Boulevard périphérique, qu’il publie à l’âge de 95 ans.
LES YEUX DE LAURE
Les yeux de Laure ne sont pas faits pour voir ni pour
savoir mais pour être contemplés des étoiles et servir
à la respiration du soleil.
Pour ne rien voir, ne rien connaître, pour être toujours
bleus, toujours fermés, bleus ouverts inlassablement
dans le feuillage immense et le visage bleu de la
terre.
L’ouvrière de la présence, ô l’argile des yeux qui ne
s’ouvrent pas sur la mort, qui ne s’ouvrent pas sur
mémoire.
Les yeux de Laure ne sont pas faits pour voir ni pour
savoir mais pour être et pour s’éveiller.