
Francis RICARD

Né en 1947, à Castres.
Son travail de création ne se limite pas à l’écriture : outre plusieurs livres de poésie, sa recherche s’exerce en direction de la photographie et d’œuvres graphiques. Professeur de lettres retraité, il a enseigné à la campagne et vit à Toulouse.
Son site : http://www.tiretalangue.fr/
la belle langue
la correction
la maison de correction
où l’on redresse la langue rebelle au modèle convenu
dire dans cette langue ou se taire
ils disent
non
parle ta langue
j’ai des oreilles pour chaque langue
nargue la ponctuation elle étouffe ton souffle
respire enfin libéré des chaînes artistiques
rouge du professeur qui souligne
si tu existes
existe
tire la langue
tire ta langue à ceux qui savent
tu sais plus qu’eux si tu sais ta langue
eux ne parlent qu’avec la bouche
ça va trop vite ça va trop vite ce
monde tout pas le temps de dire
temps de parole passé épuisé je
voulais dire trop tard coupé peux
pas peux pas suivre moi dire vite
comme ça pas le souffle pas le
rythme parfois dans un espace
lâcher comme ça une phrase en un
seul souffle le début inaudible la fin
inécoutée comme ça juste une bribe
en un seul souffle pour voir si y a
encore quelqu’un qui entend écouter
écouter écouter et soudain dans
l’espace tenter de se glisser tenter ou
alors faut hurler
Le verrou
à Serge Brugiolo dit "Séssé"
glong glong
on a tiré le verrou
du noir labyrinthe
mugit la langue ancestrale
glong glong
on a tiré le verrou
on a débâillonné
la langue en sabots
glong glong
la langue fauve surgit
la langue sale
la langue rustre
glong glong
on a tiré le verrou
on a ôté le bâillon
de la bouche bâillonnée
glong glong
la bouche éructe
la bouche éructe
la vieille langue rustre
glong glong
la vieille langue rustre
parle les mots d'autrefois
les mots sauvages d'autrefois
glong glong
la langue pleine de poils
dit la peur d'autrefois
la sauvagerie naturelle
la violence d'autrefois
glong glong
l'aristocrate et le bourgeois
le pauvre et le riche
tirent le verrou
de la langue ancestrale
glong glong
ils ont oublié leur vérité
ils ont oublié leurs poils
ils ont oublié leur fierté
ils ont oublié leur violence
glong glong
ils ont porté leurs escarpins
ils ont porté leurs cravates
ils ont porté leurs bijoux
ils ont porté leurs cigares
glong glong
ils vont châtier ce passé
châtiment rituel six fois répété
triomphe de l'ordre
gloire de la beauté surveillée
éloge funèbre du passé renié
on a tiré le verrou
on a rebâillonné la langue
la langue rustre
la langue sauvage
la langue pleine de poils
la langue qui pisse en public
la langue qui tire la langue
glong glong
la langue est tuée
la terre est tue
à la tertulia on l'évoque
la langue morte
la langue châtrée
en langage châtié
logique et policé
d'ordre rhabillé
On passe son temps à se cacher
Mais on n'espère qu'une chose
Qu'on nous trouve
Attraper ce qui se cache
C'est attraper ce qui voudrait être pris
L'horloge
il y a des horloges
détraquées
elles sonnent
à contretemps
et
des
horloges
justes
elles sonnent
au
bon moment
elles sonnent
l'heure juste
juste l'heure
et
tout arrive
au
bon moment