
Hala MOHAMMAD

Poète et réalisatrice, Hala Mohammad est née en 1959 à Lattaquié, sur la côte syrienne. Elle a réalisé plusieurs documentaires sur le thème de la littérature des prisons et a été assistante-réalisatrice de deux longs métrages tournés en Syrie, tandis que ses recueils paraissaient au Liban. Au début des événements qui déchirent aujourd’hui son pays, elle a mis tout ce qu’elle possédait dans une valise et a trouvé refuge en France.
La poésie de cette exilée est un art de vivre qui défie la peur. Les Éditions Bruno Doucey publient son recueil Prête-moi une fenêtre en 2018, puis, en 2021, Les hirondelles se sont envolées avant nous.
L'association Chez mon libraire regroupe quelques 190 librairies indépendantes en Auvergne-Rhône-Alpes, l'une d'elles est forcément près de chez vous !
Prête-moi une fenêtre, toi l’étranger
Prête-moi ce moment
Je t’en supplie
Prête-moi le moment du coucher du soleil
…
Qui donne sur la Syrie.
Ô photographe
Prends de nous une photo-souvenir
Ô photographe
Prends une photo de la photo-souvenir
Et photographie la photo de la photo-souvenir
Pour que nous l’accrochions au mur du cœur
Au mur de l’exil
Au mur de la tombe
Au mur de l’oppression
Au mur de la vie
Au mur de ce mur
Les jours
Vite devenu hier
Je me suis dit : comment n’ai-je pas remarqué
Qu’avant- hier a passé ?
…
J’ai ouvert les fenêtres
Et mêlé les jours
Aux jours.
Sur un banc dans un jardin
Epuisée comme moi
Près de moi se repose
Une feuille.
Chemin
Notre passé un mirage, notre présent un mirage
Le pays qui nous a chassés nous pourchasse
Gens endormis, gens éveillés, gens sur la route
Ils se bousculent comme les vagues et l’absence flotte
Ce barzakh, entre vie et mort, un miracle
La lune apparaît, elle guide les enfants de cette terre vers le secret
Même en nous éloignant, nous resterons à notre place
En prenant le large et en l’apercevant dans un pays lointain
Nous resterons ici.
Si les maisons nous demandaient
Abandonné les murs occupés à chercher une fenêtre
dans les poches des robes
Abandonné les minarets protégeant l’heure du crépuscule
Abandonné les héros des contes sur les étagères
des bibliothèques où ils protègent nos contes
Nous nous sommes fardés de l’amertume de l’albâtre
Ces villes et ces lignées de joies étaient nôtres
Nous nous sommes ceinturés de chansons
Pour revenir chez nous comme bon nous semble.
Au loin
Aussi simples qu’une tasse de café
Je les chasse des fenêtres
Je les repasse à même les robes
Je les couds avec les poches des chemisiers
Je les fais briller comme des bracelets d’argent
Je les grave sur le mur comme les lettres du prisonnier
Le matin, je les vois boire mon café
Au loin derrière une lointaine fenêtre.
Jette-toi dans ce monde et cherche-le
Dans la fenêtre, dans le café du matin
Dans le sommeil, dans les rêves, dans l’insomnie
Sur les balcons, dans les jardins publics, dans les bus
Dans les manifestations pacifiques
Sur les bannières de la liberté
Dans les prisons, dans les exils, dans l’attente
Dans l’ombre des arbres, dans les salles de cinéma
Dans la poésie, dans les livres
Jette-toi dans les histoires d’amour.
À la fin des histoires, les histoires se libèrent des livres
À la dernière page tu la verras passer devant tes yeux…
Ta propre histoire.
L’étranger amoureux cherche toujours un balcon,
L’après-midi, lorsque tu arroses tes roses, sois délicat
Mon amour, et donne aux roses de la robe
Quelques gouttes.