
Hortense Raynal
Hortense Raynal est poétesse, performeuse, comédienne et Aveyronnaise.
Diplômée de l'Ecole Normale Supérieure de la rue d'Ulm et formée aux arts du mouvement, son travail explore la saturation de la langue et la polyphonie poétique de la pensée.
En plus de la faire découvrir par le biais d'enregistrements sonores et de plusieurs revues, elle donne des formes scéniques à sa poésie physique et organique.
Elle réalise un peu partout en France des performances ou des expériences poétiques immersives protéiformes qui se trouvent quelque part entre ses racines rurales et son envie irrépressible de paillettes, sa sensibilité lyrique et ses manies de petit clown.
Elle-même revendique "mouvementer les mots".
Elle publie son premier livre, Ruralités, en 2021 aux Carnets du Dessert de Lune, dans la sélection du Prix Leynaud 2022 et lauréat du Prix du premier recueil de Poésie de la Fondation Antoine et Marie-Hélène Labbé.
Le deuxième, "Nous sommes des marécages", est à paraître chez MaelstrÖm fin 2022.
Site : https://linktr.ee/hortense.raynal
Entretien avec Clara Regy
Dans notre premier échange, vous avez souhaité « vouloir » aborder ce que vous nommez « processus d’écriture », cela voudrait –il dire que « votre » écriture s’inscrit dans un ensemble de « conditions », une organisation particulière, voire systématique ? Je vous laisse donc répondre à cette première question…
Ce qui me questionne au plus haut point et depuis longtemps, c’est l’acte créateur. Qu’est-ce qui fait qu’on crée ? Qu’on ne puisse pas faire autrement que de passer par l’acte artistique pour communiquer ce je ne sais quoi qui ne peut être communiqué par le langage commun ?
Impossible d’y répondre. Ce que je sais c’est qu’il y a comme une certitude. Il faut écrire. J’écris tout le temps, mais dans la tête. Ou, pourrait-on dire, dans la vie. J’écris dans la vie. Et je garde, je garde. Je rumine, je rumine. Jusqu’à ce que je trouve une fenêtre temporelle, le plus souvent en résidence. Il est très difficile pour moi d’écrire chez moi, si je le fais, c’est par à-coups, dans des accès fiévreux d’écriture. Il y a parfois un sortir de la parole qui se met en place, et alors là il faut vite vite sortir l’enregistreur, ce n’est pas toujours simple, parfois il faut le refaire une deuxième fois et… ce n’est jamais aussi authentique que la première. C’est le jeu. Des vers me viennent également souvent en tête dans l’état de mi-sommeil qui vient à l’endormissement, cet espèce de no man’s land de réalité, à la fois à l’entrée et à la sortie d’un monde, pour reprendre les mots que Florentine Rey m’a glissé il y a peu lors d’une séance de Mater Atelier (un atelier d’écriture mettant en valeur le matrimoine poétique contemporain que j’organise chaque semaine).
C’est proprement fascinant, ces mécanismes à la fois incontrôlables et très intimes, familiers. On se côtoie intimement, moi et ma manière d’écrire, et pourtant on se cherche encore, on se jauge, on se quitte et on se remet ensemble, on se dispute et on s’enlace sans cesse.
Flux et reflux.
Alors, il faut suivre ces saccades tant bien que mal.Quant aux obsessions de l’artiste, sa sensibilité et la « puissance » de son œuvre, je vous laisse toute latitude pour vous ouvrir de ce qui se cache derrière ces mots. (que j’ai d’ailleurs parfois transformés).
Jean-Pierre Siméon, dans La poésie sauvera le monde, décrit la communication standard en proposant que dans ce langage, « la montagne ne dépasse jamais du mot qui la désigne ». Je trouve ça très fort, cette phrase me reste collée depuis que je l’ai lue, surtout qu’il y a beaucoup de montagnes dans mes textes et mon imaginaire intérieur.
Pour moi, c’est ça la puissance de la poésie. C’est toutes les formes et les couleurs, les visions et les figures organiques qu’elle permet d’ajouter à la teinte du monde. En ce moment, je travaille à un futur manuscrit, qui pour l’instant s’appelle « La poésie c’est chaud », et je tourne autour de tous les motifs que me fait éprouver la poésie, tant dans son écriture que dans sa lecture ou son écoute. La terre, la rondeur, la chaleur, la froideur, la vibration, la gourmandise, les racines, la fatigue, la brèche voire la déchirure… La sauvagerie aussi ; et Duras de dire même si c’est dur à dire « ça rend sauvage, l’écriture » !
De manière générale, je pense qu’il y a une certaine avidité fondamentale dans la poésie. La poésie est puissante car elle a faim. De tout. Je poursuis avec Siméon qui dit que la poésie c’est « l’accélération générale des rythmes vitaux » et qui affirme que « chaque poème exerce la conscience à inventer des modes de compréhension actifs, originaux, imprévus, donc intensément libres » !On écrit aussi parce qu’on a lu (?) que pensez-vous glisser dans vos propres écrits de l’écriture de « l’autre » ? En d’autres termes quels auteurs semblent peut-être, vous avoir ouvert la voie des mots et aussi du corps ? Petite ouverture sur vos performances, que vous pouvez refermer ou non…
James Sacré et Cécile Coulon m’ont soufflé que je pouvais écrire sur mon enfance rurale, Jacques Prévert était là dès les premières années, Édith Azam m’a époustouflée sur scène, Mélanie Leblanc me murmure des répétitions fécondes. Je partage avec Anna Serra la voracité, avec Victor Malzac le goût des saletés poétiques, et tant d’autres. Il y a beaucoup de poétesses et de poètes chez qui je reconnais un terrain commun du sensible : Marine Riguet, Eric Sautou, Christian Dotremont, Camille Loivier,… La liste serait longue elle est donc bien sûr non exhaustive.
Les autres arts nourrissent énormément mon écriture. Ils sont absolument fondamentaux. La poésie d’un spectacle de cirque contemporain prend un chemin direct vers mon cœur. Les circassiens et circassiennes me fascinent : ils sont les poètes du corps. Ils agissent avec le mouvement corporel de la même manière que nous, poètes et poétesses, agissons avec le mouvement langagier : ils et elles jouent avec, entrent en décalage avec, le malmènent, le questionnent, le malaxent, le rendent étrange, ils et elles en dépassent les limites...
La chanson française a joué/joue également un rôle immense dans mon écriture. Tout comme la variété (et oui, c’est assumé ! Il y a une certaine authenticité en dénominateur commun avec la poésie). Elle combine les deux choses, le texte et la scène, la voix et le corps, le goût des mots et celui du rythme physique. Écouter chanter un auteur-compositeur-interprète sur une petite scène dans un festival en été, avec une ambiance roots, un bon verre et des amis – les plaisirs simples de la vie – m’inspire. Je prends, je stocke, je compile les émotions harmonieuses, pour les ressortir quelques jours plus tard.
Tout cela fait que rien ne m’est plus naturel que de performer ma poésie sur scène, en cherchant sans cesse de nouveaux moyens de livrer le poème, de dire le poème hors du livre, de m’amuser avec ce que je sais de l’art du clown et du théâtre physique, gestuel, du mouvement-danse… Il m’est arrivé de partager l’instant poétique avec d’autres artistes : un musicien, une peinteresse, une comédienne de théâtre immersif. Bientôt peut-être un compositeur électro… Je trouve la performance géniale pour rencontrer réellement son public, il y a une proximité merveilleuse. La rencontre est possible.Je qualifierais vos textes ainsi : « des observations habitées », cela fait 3 mots. Quels sont ceux alors (les 3 mots) qui pour vous, représentent la poésie ?
Direct dans le cœur.