Jean-Michel MAULPOIX
Ecrivain et universitaire, Jean-Michel Maulpoix est l'auteur d'ouvrages poétiques, parmi lesquels Une histoire de bleu, L'Écrivain imaginaire, Domaine public, et Pas sur la neige, publiés au Mercure de France.
Il a également fait paraître des études critiques sur Henri Michaux, Jacques Réda René Char, Rainer Maria Rilke et Paul Celan, ainsi que des essais généraux de poétique (entre autres : La poésie malgré tout, La poésie comme l'amour et Du lyrisme).
Son écriture, où dialoguent sans cesse prose et poésie, se réclame volontiers d'un « lyrisme critique ».
Jean-Michel Maulpoix dirige la revue numérique de littérature et de critique Le Nouveau Recueil.
Ancien élève de l'École normale supérieure de Saint-Cloud, agrégé de Lettres modernes, et auteur d'une thèse de Doctorat d'état sur "la notion de lyrisme", il enseigne la poésie moderne et contemporaine à l'Université Paris III-Sorbonne.
Il taille, il coupe, il accentue.
On le croise au jardin. A l’heure de brouillard. Ou plus tard dans la chambre. Ici et là, les mêmes gestes. Des chutes ou des bouquets de phrases. Parfois il retourne la terre. En mottes noires et brillantes. Des strophes pourrait-on dire. De brefs paquets de prose.
Il taille, il coupe, il accentue.
A la plume. Au couteau. Au sécateur. Aux ciseaux. Au plantoir. Au cordeau. Dans le jardin de Jean Tortel ou dans le pré de Francis Ponge. Ecrire est une affaire de main. Il taille dans le noir. Il découpe les ténèbres.. Il voudrait y voir clair. Dans cette langue dont on ne sort pas.
Il taille, il coupe, il accentue.
Il borde et déborde nos phrases. Il marche sur la grève à la frange de l’eau. Ou vers l’à-pic de la falaise. Sur la terre comme au ciel toujours sur un fil. Prêt à se jeter dans le vide. Désireux de voir la limite. Ce qui nous lie et nous sépare. Ce qui nous garde suspendus.
Il taille, il coupe, il accentue.
Dans l’entre-deux qui est le nôtre. Dedans-dehors. Une page. Une peau translucide. Ce sont toujours de frémissantes surfaces. Un ventre de femme où dort un enfant. Y coller l’oreille. Y poser la bouche.
Il taille, il coupe, il accentue.
A la finitude il prodigue ses soins. Il aime ces mourants que nous sommes. Avec douceur. Avec effroi. Il voudrait rassurer un peu cette agonie. De fleurs ou de musique. « Voici mon cœur » dit-il. « Ne le déchirez pas ».
Il taille, il coupe, il accentue.
Quoi d’autre ? Ce travail-là n’en est pas un. Il ne rapporte pas. Il ne remplira pas son outre de vin, son panier de fruits, non plus que sa besace. Il y donne de son temps. Le monde change de figure. Autrement métré et coordonné.
Il taille, il coupe, il accentue.
Il tisse un habit de haillons. Nous revêt de toiles d’araignée. Un habit qui ne dissimule pas la nudité. Qui montre que le corps a froid.
Il taille, il coupe, il accentue.
Autrefois debout. A présent penché. Son dos se voûte. Il regarde dans le jardin des combats de fourmis. Il ne tient plus tête à ses astres.
Il taille, il coupe, il accentue.
Il aurait bien voulu planter. Mais la terre est trop froide. La saison trop tardive. D’ailleurs il se pourrait qu’en dépit de ses soins l’ancien jardin redevienne un morceau de terre aride. Un roncier impénétrable.
Il taille, il coupe, il accentue.
Tant d’autres dont la sourde oreille. Et vivent les yeux fermés.