Marie COSNAY
Je vis à Bayonne au Pays basque, dans une maison aux camélias.
A deux pas de la Villa chagrin et de l’Adour.
Je travaille à Bidache, dans un petit collège.
Les adolescents et moi-même nous tentons de traduire Catulle, Virgile ou Ovide.
Nous n’y arrivons pas toujours mais nous sommes très heureux ensemble.
J’aime plus que tout avoir devant moi une journée immobile, sans rupture et sans projet.
Je ne sais pas si j’aborde des thèmes spécifiques dans les livres qui se fabriquent.
Je dirais plutôt que je cherche à donner des objets et une forme à ce qui existe en désordre et en image, quelque part, en moi, et qui me vient des livres que j’ai lus et aimés, des choses que j’ai vues, des gens et constructions qui me sont, par bonheur et hasard, venus.
Je tente d’apprendre le basque. Je ne suis pas douée pour les langues vivantes.
Je passe du temps à me renseigner sur les conditions de vie faites en Europe aux migrants. J’apprends les murs, les CRA, les fossés que construit l’Europe, ainsi que les pays voisins de l’Europe.
Je pense à ces lignes d’Imre Kertesz, écrites il y a plus de dix ans, dans Un autre : « La terreur claustrophobique de l’Europe occidentale donnera naissance à un nouvel Adolf Hitler, à la paranoïa de supériorité des inférieurs. Les détenteurs de richesses et du pouvoir autoriseront à nouveau l’avilissement total de la société, rien que pour « sauver les meubles », et finalement, au prix d’un nouveau totalitarisme, de nouvelles catastrophes sociales, ils réussiront à survivre ».
La vie quitte à son tour le vieil homme nommé
Quentin que plus personne ne nomme. Une
sorte de manteau le couvre, un manteau sous
lequel travaillent des idées. La première : je ne
veux pas mourir, je tiens debout vif et brûlant
de fièvre et d’amour. À l’amour on s’arrête un
instant. Je vais doucement contre la joue d’un
mort (mort de mort violente). Des flammes ou
de petites flaques horizontales baignent la
nuque de mon mort. Dernière idée, devenue un
peu folle dans sa ténacité : je ne saurais pas
dire si je suis né homme ou femme, je ne me
souviens d’aucune différence sexuelle et pense
n’en avoir jamais fait cas, je suis sous le
plafond ou le ciel, peu importe, homme et femme et
je m’évanouis. Je ne veux pas dire
adieu.
Mes sens me jouèrent des tours : deux filles poussaient la porte de
toute la force de leurs épaules. Kemal avait disparu - ou il devenait l’une des deux filles. La
métamorphose s’accomplit devant moi. Les cheveux de Kemal poussent, les hanches
s’arrondissent. Il se retourne un instant. Je perçois dans son regard une
interrogation, exemple de toutes les interrogations. J’eus le temps de désirer lui en
demander plus. Le moment était on ne peut plus mal choisi. Bientôt je ne
reconnaîtrai plus Kemal. Les filles firent un peu, à peine, bouger la porte.
Comment lier le soleil au cours de la vie
d’un homme, est-ce qu’on prend sur le corps la
tendresse du ciel ?
l est là, sans parole, sans regard, sans affinités.
Tout
ce qui oblige au choix, à la pensée, à la relation,
est
relégué très loin, c'est le domaine des mortels
malchanceux.
Nous avons combattu la mort. Nous ne savons
pas.
Nous ne pensons pas. Si nous aimons, c'est de
l'amour qui nous dépasse, de l'amour infligé, une
force qui vient sans que nous soyons partie
prenante.
Aimer celui pour qui je suis sans amour, celui qui
indéniablement est indigne de l'amour. Ou plus
justement : celui que je ne vois pas.