Rémi CHECCHETTO
On ne connaît pas un Rémi Checchetto mais plusieurs. Si l’on se réfère à la musique joliment italienne de son patronyme on pourrait dire qu’il y a des Checchetti. On en connaît un qui écrit pour le théâtre de longs monologues, et dont on pense qu’il ne fait pas la différence, qu’il ne veut pas la faire, entre l’écriture de théâtre et l’écriture de la poésie. Les deux s’inscrivent dans un travail d’intériorisation, de poétisation du quotidien et des êtres auxquels il se confronte.
Patiemment, il couche les mots sur le papier et ceux-ci sont mis debout par des metteurs en scène (Bela Czupon, Jean-Marc Bourg…) des musiciens (Titi Robin, Louis Sclavis, Bernard Lubat, Chris Martineau…), des marionnettistes (François Lazzaro, Gilbert Meyer…), des plasticiens (Denis Tricot, Sylvie Durbec…), des artistes de rue (Princesse Peluches…), des éditeurs (Espaces 34, Script, L’attente, Tarabuste, Inventaire / Invention, L’improviste.
Il fatigue volontiers ses valises et aime à travailler in situ. Il sillonne la France afin d’écrire des portraits d’habitants et de lieux.
Il donne régulièrement des lectures performances de ses œuvres et a publié quelques 15 livres.
Son site internet : https://checchetto.com/
Et voilà que maintenant il pleut sur mes os
voilà qu’arrive dans le visible du jamais vu, entendu, su
que surgit du mort dans le vivant
et l’eau tombe oblique, sans s’arrêter, dont le rideau de pluie m’empêche de voir l’origine nuageuse, orageuse ou calamiteuse
juste quelque chose m’arrive
et plus certainement me revient
qui me percute / perce / persécute les os
et bien piètre, pâle squelette je suis, qui n’ignore nullement qu’il lui faudrait se lever et passer entre les gouttes s’il veut retrouver un peu de vie
c’est à dire
échapper à ce rendez-vous de boomerang
Il y a, oui, est en nous, oui, c’est en nous, nous avons, nous sommes, nous possédons, contenons, est inclus en nous, vit en nous, respire en nous, existe un fort bouillonnement, une étonnante effervescence en nous, une révolte, pas une colère, une insurrection qu’un bon apéritif suffit à raviver, est aussi, oui, c’est vrai, il y a aussi, oui, c’est certain, une colère, une noire colère qu’un mauvais apéritif suffit à déclencher, vin du mauvais temps en nous, qui se gâte en nous, est en nous aussi, oui c’est vrai, nous possédons, sommes possédés, il y a en nous une libido qui dort un peu comme un chat sur son coussin et qu’un petit apéro suffit à réveiller et à faire ronronner, dos rond, fesses en l’air à la moindre caresse, langue rose pendante
Le ciel est un paysage informe, le ciel est un pays informe, n’est inscrit dans aucun cadastre, on ne peut mettre le ciel dans un cadastre, le ciel de jour, le ciel de nuit on l’a déjà mis dans de multiples cadastres, des cadastres saisonniers, des cadastres au mois le mois, le ciel de jour on ne peut le mettre en boîte, on ne peut le répertorier, le recenser, on ne peut le mettre en livres de peintures, en catalogues de photos, en livres d’alexandrins, en livres de n’importes quelles lignes hormis l’alexandrin, on n’en met qu’une partie, qu’une fluette partie déjà désuète puisqu’il a déjà bougé, on ne peut mettre le ciel en boîte, il n’y a pas d’outils conçus pour ça, il n’y a pas d’outils capables de ça, le ciel est en mouvement, le ciel est un mouvement, on ne peut le mettre sur une page, on ne peut le mettre entre deux pages, le ciel est irréductible, juste on le prononce avec un peu de ciel dans la bouche
C’est clair et net et simple comme un bonjour, pour faire de la bonne confiote il faut mélanger de bonnes choses, pas n’importe quelles bonnes choses, des bonnes choses qui vont bien ensemble, qui forment un bel ensemble à confiote, la confiote est le modèle, l’archétype, sont aussi des mélanges de gens qui font et sont de la confiote, des alliances de circonstances qui font et sont de la confiote, des mixtions de lieux et de temps qu’il fait qui font et sont de la confiote, il y en a plein plein plein de choses et d’autres et d’autres qui font et sont de la confiote, de la confiote pour soi, de la confiote pour les autres, de la confiote pour les hommes, les femmes, les enfants, les éléphants et aussi pour les caïmans qui eux aussi aiment beaucoup la confiote
Le p’tit déj c’est le matin / des fois c’est pas le matin / des fois c’est l’après-midi / des fois en pleine nuit / des fois pile à quatre heures / souvent c’est le matin / quand c’est pas le matin c’est exception / ou bien c’est comme ça à cause du boulot du bonheur ou du décalage du jeune âge / quand c’est le matin c’est le matin / quand c’est pas le matin c’est pas le matin / quand c’est le matin ça peut ne plus être le matin puis ça peut revenir le matin / c’est fréquent / quand c’est pas le matin ça peut ne plus être pas le matin puis ça peut revenir pas le matin / c’est peu fréquent / ça change ou ça change pas / fréquemment ou pas / des fois on est content que ça change des fois pas / c’est comme tout / ces changements- là ne nous épanouissent.
un jour
elle s’est pendue à un fil à linge bleu
nos yeux furent griffés
grillés
par un gel très fort
tout ce que nous avions vu
su
est tombé en morceaux
nous avons assisté à cela
sans rien avoir pu arrêter
se forma l’abîme
le soleil continuait
à faire le ciel
ou la pluie selon
sans que cela nous atteigne
des jours, des mois, des années
puis nous avons bougé
avons fait un grand écart
sur la carte
du nord vers le sud
d’ouest en est
nouvelle terre
nouveau départ ?
est-il possible de se sortir
la tête de l’eau roide
et d’être ailleurs ?
Ne pas se retenir, ne plus, ne pas, plus se tenir ni aux branches ni à soi, ni au temps ni à l’estime de soi, et se laisser aller, autant que possible, et se perdre les mains dans nos alentours et même dans les circonférences lointaines, et s’éloigner dans nos vagues idées et dans nos confuses pensées et dans notre boussole déboussolée, chanceler là puis se désarçonner, oui, et être celui qui tombe, se perd, pour commencer être celui qui se perd de vue et se perd d’ouïe et se perd d’affection, oui, ne plus se côtoyer, ne plus se parler et s’entendre affirmer, ne plus, et peut-être qu’une autre voix en soi, et sans doute qu’un nouvel événement, juste un seul élan inconnu de nos lignes de vie, de nos empreintes, peut-être, c’est ça, ainsi, et un jour l’autre saluer chapeau bas comme il se doit un autre que soi en soi