Sereine BERLOTTIER
Sereine Berlottier lit, vit, écrit (& travaille) en zone inondable. Elle a publié Louis sous la terre, (Argol, 2015), Attente, partition (Argol, 2011), Ferroviaires (Publie.net, 2008), Chao Praya (Apogée, 2007), Nu précipité dans le vide (Fayard, 2006) ainsi que dans différentes revues (notamment Gare Maritime, Action poétique, Rehauts, Po&sie, Sarrazine, N47...). . Elle est membre du comité de rédaction du collectif Remue.net et participe à des lectures publiques ainsi qu’à différents projets avec des musiciens (lectures musicales, journal sonore).
Pour plus d'informations, plus de textes et une bibliographie complète, rendez-vous sur le site de Sereine Berlottier.
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Ou bien tu ne peindras pas. Tes ongles seront jaunis par le manque, ta peau tirée. Tu laisseras le monde venir jusqu’à toi, te déchirer comme un rêve, un sarcasme. Tu dormiras dans des granges. On t’offrira un morceau de pain. Tu marcheras en te baissant pour ramasser des pierres dans l’ombre, tu les déposeras plus loin sur la terre, dans le soleil. Ou bien tu ne peindras pas. Tu t’accroupiras devant des feuilles immenses. Tes genoux, tu les déplaceras avec tes mains, comme des bûches, des outils oubliés en travers du chemin. Tu te baisseras d’un coup sec. Tu plongeras. Personne n’aura le droit de voir tes gestes.
3 janvier
On ouvre le cahier
à la dernière limite des forces du jour
et il fait nuit.
On ouvre le cahier comme si
c’était la toute dernière des tâches, la moins hésitante, la plus
bornée.
On se sent sale
de toutes les choses du jour.
On les porte encore
Elles s’interposent
On ne les quitte pas.
On ouvre le cahier
et le temps de faire un peu de silence
et d’avancer
les mèches de soucis qu’on a dans les yeux
On écoute
ce sont d’autres pas dans la rue qui traversent
Une musique ailleurs et le bruit d’un enfant plus tard
On colle l’oreille à ce ventre
comme si on cherchait pour de bon
si on a mal
on fait comme si
c’était une façon d’avoir une histoire encore
9 janvier
quel jour sommes-nous
phrases qui penchent
on sait
le corps de l’autre aussi
vit son chemin dans le
manque
larmes au coin de ses
yeux
mais il bâille
ce corps qui te revient
dont tu hérites – médite quoi dans ses vieilles caves
toiles râpées
silencieuses
parfois – corps est le mot oublié au cœur d’une phrase
tu dis que c’est le tien
par paresse ou par habitude
Le blanc de l’écran, le blanc de la page, le blanc de la couverture du livre tenu ouvert dans les mains, le noir de la chemise, le noir du titre tracé majuscules sur le grand panneau blanc, le noir des chaussures noires, le noir du corps visible transpercé par le fil blanc de l’espace visible, habillé en noir, traversé en blanc, le noir de l’homme transpercé par la lame blanche de l’espace visible, le noir de l’homme typographique tranché par ses propres fils mais continuant à tracer dans l’air le même sillon, sans qu’à aucun moment la voix ne faiblisse ou n’essaie de se dérober, sans qu’un seul instant la voix ne renonce.