Stéphane JURANICS
D’origine hongroise par son père, Stéphane Juranics est né en 1969 à Lyon. Il commence à écrire à l’âge de dix-huit ans et, après une licence de Lettres Modernes à l’Université Lyon 3, fait paraître un premier recueil en 1991 à La Bartavelle Editeur. En 1993 il reçoit une bourse d’aide à l’écriture de l’ARALD (Agence Rhône-Alpes pour le Livre et la Documentation). En 1999 il fonde avec le poète Georges Hassomeris le collectif (SIC) avec lequel il organise un cycle de lectures au bar Le Phœbus à Lyon (1999-2004) ainsi que le premier Marché de la poésie de Lyon dans le cadre officiel du Printemps des poètes (2003 et 2004). Depuis 1992 il a réalisé plusieurs expositions avec des photographes et effectué de nombreuses lectures publiques, notamment à Lyon, Clermont-Ferrand, Paris et Rotterdam. Outre ses recueils, il a également publié des textes dans de nombreuses revues et dans plusieurs ouvrages collectifs. Depuis 2018 Stéphane Juranics collabore activement à la revue Rumeurs.
Après avoir collaboré aux Editions Paroles d'Aube à Vénissieux, puis à l'association Les Traboules, fondée et dirigée par le sociologue Daniel Welzer Lang à Lyon, et avoir été documentaliste à l'Institut d'Etudes Politiques de l'Université Lyon 2, il travaille actuellement dans un foyer lyonnais pour personnes sourdes et muettes avec handicaps associés.
Au fil de ses ouvrages, il expose sa vision du monde et de sa déliquescence contemporaine comme de sa beauté première et de son atemporelle solitude. Il affirme également la nécessité pour chacun de se réapproprier sa parole intime et de s'unir à l'humanité pensante dans la conscience émue de ce qui est et l'échange rythmique des mots.
Dans la préface de La chute libre du jour, Thierry Renard écrit de lui : « Stéphane Juranics est un poète de toutes les intimités de la voix, de la parole grave et profonde. Et il poursuit son œuvre, inlassablement. Stéphane Juranics est, encore, un poète de tous les instants, de tous les désirs, de tous les tourments et de tous les attachements disponibles. Stéphane Juranics, enfin, est un poète de la liberté et de l’engagement le plus fidèle et le plus authentique. »
ce que disent
ne disent pas
les foulées sur le trottoir
les enjambées dans la neige
l’empreinte des pas sur le gravier
l’aveu de tant d’ombres
sous les porches
à l’approche d’autres ombres
ainsi toujours et partout
douleur et beauté
du tangible à lire
dans son idiome
encore indéchiffré
le vent souffle sur les tournesols en berne
et les feuilles des frênes penchent
sous l’oblique de la pluie
bientôt les passereaux iront peupler un autre été
derrière les barrières de l’air
que veut dire être d’ici
quand depuis toujours les rêves demandent l’asile
à l’ailleurs du réel
chaque jour les astres eux-mêmes migrent dans le ciel
d’heure en heure l’ombre s’exile vers l’horizon
sous la bannière du soleil
la ville morte après l’oubli
quel exil ravalant les quartiers d’abîme
et ces rues ces visages débaptisés de temps
la rancœur des pierres
la dédicace des lierres
un instant toujours les mains savent
mains sépulcres des phrases
ce soir-là le hiatus tardif de ta cuisine entre les parenthèses de tes mains le vide une bouteille d’eau-de-vie mon verre intact au milieu du silence le tien si seul tel un soleil couchant à l’horizon de la nappe ton ivresse indispensable ton errance avec un gosse n’y comprenant rien tes yeux fixant je ne sais quelle élision à rebours de tes yeux je ne sais quelle lave fertile par défaut lave narratrice d’inhumaine humanité
Dans le train où le soleil s’en va, tu lèves le rideau ; une femme paraît sur la vitre, le large carreau déplié tel un livre. Elle dort depuis des heures, tu n’y avais pris garde, enclos dans l’attente. Elle est si près maintenant, sur ce lit de verre et d’étoiles. Si près, dans l’absence de jour, sous la course du soir. Son repos te gagne, de la vitre où tu ne peux te voir. De ce lieu comme un livre, où enfin tu n’es pas.
Par-delà les mots marche face au couchant, dos à ton ombre, indifférent au jour. Si tu ne sais pas où rentrer le soir, où dormir, dans la méprise de quel foyer, si tu ignores où mourir, où t’éteindre la nuit, alors ne va nulle part, va partout, là où tu n’es pas, pourvu que tu n’y sois personne. Oubliant ta rue, perdant ta route, ne demande rien. Surtout ne demande rien. Passe ton chemin.